La Grande Trappe (Mortagne)
Ce monastère trappiste (Ordre cistercien de la stricte observance), connu simplement sous le nom de « La Grande Trappe », se trouve à Soligny-la-Trappe, près du village de Mortagne-au-Perche.
Histoire
L’histoire de ce monastère commença au XIIesiècle, alors que les terres sur lesquelles il se tenait appartenaient à Rotrou III, comte du Perche. Rotrou avait érigé à cet endroit une chapelle dédiée à la Vierge Marie en mémoire d’un naufrage qui avait coûté la vie à sa femme, Mathilde, fille d’Henry Ier, roi d’Angleterre. En 1140, Rotrou établit un monastère à côté de la chapelle et y invita des moines de Breuil-Benoît. Sept ans plus tard, la communauté monastique rejoignit l’Ordre de Cîteaux (d’où provient le nom de « cisterciens ») et fit vœu de pauvreté quant à sa vie monacale et de simplicité dans sa prière liturgique.
Après un siècle de prospérité, la guerre de Cent Ans ravagea la région et les moines durent abandonner leur monastère, qui fut brûlé et pillé en 1376 et à nouveau en 1465.
La guerre de Cent Ans finie, l’abbaye fut reconstruite. Le monastère se développa grandement sous la conduite de l’abbé Jean-Armand Le Bouthillier de Rancé (1626-1700), filleul du cardinal Richelieu. Il institua des réformes approuvées par le pape Innocent XI, notamment une discipline stricte et un silence rigoureux. La Grande Trappe devint ainsi l’un des monastères les plus fervents, les plus austères et les plus connus de tout le Royaume de France.
Au fil des siècles, l’abbaye devint un lieu renommé de retraite. Jacques-Bénigne Bossuet, prédicateur à la cour du roi Louis XIV, séjournait souvent à la Grande Trappe. Jacques II d’Angleterre y vint lorsqu’il trouva refuge en France. Le roi Charles X s’y rendit également, ainsi que Louis-Philippe, en 1847.
Le père Moreau et la Grande Trappe
Le père Moreau y fit pareillement de nombreuses retraites, particulièrement aux moments importants de sa vie. La première eut lieu en 1829. Ainsi que ses biographes l’écrivent, il « s’était affectionné, déjà, à cette « solitude » de grand style ; un secret instinct ne cessera de l’y attirer » (Le T. R. P. Basile-Antoine Moreau, Catta et Catta, Fides, t. I, p. 309).
Le 15 octobre 1836, il s’y rendit avec un petit groupe de prêtres auxiliaires :
« De la ville de Mortagne, la petite troupe gagna l’abbaye toute marquée encore, après une restauration courageuse, de l’âge héroïque de Rancé. Ils empruntèrent la voie solitaire, alors impraticable aux voitures, qui traverse la forêt dans laquelle est caché le monastère. On hésitait aux carrefours. On cherchait à travers les arbres un signe qui indiquât son approche. Le soir tombait ; grande était la fatigue des voyageurs et ils n’étaient pas sûrs du chemin, quand la brise leur apporta le tintement de la cloche qui appelait les moines à la prière. « Cette voix de l’Église […] nous ranima », dit M. Moreau. Les voyageurs affermirent leurs pas
et descendirent avec une impression de paix joyeuse la pente qui mène à la chaussée des étangs. De là ils apercevaient, accueillante, au bout d’une allée, la porte du monastère, et bientôt ils y étaient reçus, avec cette charité cordiale qui caractérise l’hospitalité des moines, par le R. P. abbé dom Joseph-Marie, vicaire général de l’Ordre de Cîteaux, pour la Congrégation de France, et par le R. P. Bernard, son prieur. » (Catta, ibidem)
Moreau et ses premiers prêtres auxiliaires se rassemblaient chaque jour autour d’une petite grotte « entourée de bois sombres, au bord d’un ravin » (Catta, p. 310). Là, ils priaient et méditaient, et rédigèrent la première ébauche d’une Règle. Ce fut le texte de cette Règle qui fut approuvé par Mgr Bouvier lorsque le petit groupe retourna au Mans. Le père Moreau écrira plus tard à l’abbé de la Grande Trappe : « Le berceau de notre origine a été la grotte dite de Saint-Bernard où nous avons fait notre premier règlement » (Catta, ibidem).
Il retourna à la Trappe en 1840 avant de prononcer ses vœux perpétuels, puis encore en 1847 pour sa retraite annuelle. C’est à cette occasion qu’il rencontra le roi, Louis-Philippe, devant qui il plaida pour sa cause.
Admirant le style de vie des moines à la Grande Trappe, le père Moreau écrivit : « C’est à la Trappe qu’on a sous les yeux comme une vivante image des solitaires d’Égypte ou des chrétiens de la primitive Église » (Catta, t. I, p. 556).
Basile Moreau revint à la Grande Trappe en 1867, où il écrivit son testament spirituel après avoir renoncé à son poste de supérieur général. Il décrit « l’aspect de ces murs silencieux, l’extérieur recueilli et mortifié de ceux qui les habitent […]. L’air suave qu’on y respire » (Catta, t.III, p. 196). Il parle également de cette « atmosphère de sainteté, […] charité, […] union vraiment divine qui ne fait de tous les religieux qu’un seul et même esprit » (Catta t. III, p. 197).