Notre-Dame de Sainte-Croix
Notre-Dame de Sainte-Croix est le lieu de la fondation de la famille religieuse de Sainte-Croix et le cœur symbolique de ce que le père fondateur appelait « l’œuvre de Dieu ».
La propriété fut offerte en cadeau au père Moreau le 24 décembre 1832 de la part de l’abbé Jobbé Delile, un ami prêtre du diocèse du Mans et chanoine honoraire de la cathédrale. Appelée Notre-Dame de Bel-Air, la maison de maître avec ses dépendances et son terrain faisait une surface totale d’environ 36 000 m2 (ou approximativement 9 acres) et se trouvait sur une commune située juste à l’est du Mans appelée Sainte-Croix-lès-le Mans.
Le père Moreau dénomma l’endroit Notre-Dame de Sainte-Croix d’après le nom de la commune et en reconnaissance à la dévotion déjà existante à Notre-Dame sur le site (Notre-Dame de Bel-Air). Le 1er novembre 1835, il y installa les Frères de Saint-Joseph, dont l’abbé Jacques Dujarié, curé de Ruillé-sur-Loir, lui avait confié l’autorité. Suite à l’agrandissement des bâtiments et à un projet de remaniement sur la propriété au printemps 1837 ainsi que la signature de l’Acte fondamental (1er mars 1837), qui préparait le terrain pour l’union définitive entre les Frères de Saint-Joseph et les Prêtres auxiliaires, le père Moreau y transféra ses Prêtres auxiliaires et un pensionnat depuis la maison Barré. Un an plus tard, une petite communauté de femmes fut créée pour aider aux tâches domestiques du pensionnat. Ainsi, la famille religieuse de Sainte-Croix – constituée des Joséphites (les frères laïcs), des Salvatoristes (les prêtres) et des Marianites (les sœurs) – commença à prendre forme.
C’est à Notre-Dame de Sainte-Croix que les vœux étaient professés, d’abord pour les frères (1836) puis pour les prêtres (1840) et enfin pour les sœurs (1841). Les frères quittaient ensuite Notre-Dame de Sainte-Croix pour aller enseigner et fonder des écoles, et les prêtres auxiliaires pour aller prêcher des missions en paroisse. Plus tard, des frères, des prêtres et des sœurs furent envoyés en mission par le père Moreau pour répondre aux besoins de l’Église dans les pays lointains. À Notre-Dame de Sainte-Croix, des cérémonies d’adieu eurent lieu avant les départs des missionnaires pour Alger (1840), l’Amérique (1841), l’Italie (1850), le Canada (1852), le Bengale (1852) et la Pologne (1856). Loin de chez eux, c’est vers la maison-mère à Notre-Dame de Sainte-Croix que leurs yeux se tournaient, recevant depuis là-bas l’assurance des prières et des sentiments affectueux de leur bien-aimé père et fondateur.
Institution Notre-Dame de Sainte-Croix
L’Institution Notre-Dame de Sainte-Croix – qui définit spécifiquement l’apostolat éducatif à Notre-Dame de Sainte-Croix – fut initiée par le père Moreau en 1836, lorsqu’il transféra à Sainte-Croix-lès-le Mans le petit pensionnat dirigé auparavant par les Frères de Saint-Joseph à Ruillé-sur-Loir. Persévérant face à une vive opposition provenant des autorités civiles, le père Moreau surmonta de nombreux obstacles pour étendre et développer l’école. En 1838, il introduisit l’enseignement du latin (réservé, à l’époque, à certaines écoles). En 1839, l’école reçut le titre d’« Institution », lui permettant ainsi d’enseigner les humanités. En 1843, le père Moreau établit une académie scolaire dans l’Institution, ainsi qu’une conférence de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. En 1845, l’Institution commença à admettre des externes. Finalement, en 1849, il lui fut décerné le titre tant souhaité de collège de « plein exercice », qui lui donna le droit d’enseigner la rhétorique et la philosophie.
Ainsi, l’apostolat éducatif à Notre-Dame de Sainte-Croix se développa et devint le plus grand et le plus important apostolat de la famille religieuse de Sainte-Croix ; il le resta pendant de nombreuses années. Il eut beaucoup de succès, attirant des universitaires reconnus au niveau national (laïcs comme membres du clergé), tout en rendant un important service aux familles et à la société. En 1849, l’Institution fut décrite dans un journal parisien comme étant « un établissement [offrant] à la jeunesse chrétienne toutes les ressources du talent et de la science, et toutes les garanties de la vertu et de la religion. » (Charles Moreau, vol 1, p. 343).
Malheureusement, le père Moreau perdit l’Institution Notre-Dame de Sainte-Croix pour toujours lorsque la Congrégation, dans sa législation du Chapitre de 1868, décréta la vente des propriétés de la Congrégation au Mans. L’Institution tant aimée du père Moreau et sa chapelle (voir ci-dessous) furent vendues aux enchères le 2 octobre 1869 et furent acquises par le Marquis de Nicolay. Au mois de mai suivant, la Compagnie de Jésus devint propriétaire de l’école (et de la chapelle contiguë). Toutefois, leur ministère sur le lieu fut de courte durée. Le décret du 29 mars 1880, publié par le ministre de l’éducation publique, Jules Ferry, interdit à la Compagnie de Jésus de s’engager dans l’apostolat éducatif. Des lois ultérieures, notamment la loi de 1901 qui supprima la reconnaissance légale des congrégations religieuses, et la loi qui décréta la séparation de l’Église et de l’État en 1905, menèrent à l’abandon du campus de Sainte-Croix en 1911 et au transfert de l’école vers l’ancien couvent capucin sis à plusieurs centaines de mètres de là. En 1914, l’école fut déplacée vers un troisième – et dernier – emplacement (rue des Vignes, aujourd’hui rue Antoine de Saint-Exupéry), où le lycée Sainte-Croix se trouve encore de nos jours.
Quant au premier campus de Notre-Dame de Sainte-Croix, l’État se l’appropria en 1911. Les parcs et jardins menant à la chère Solitude du Sauveur du père Moreau furent divisés en lots et vendus. Les bâtiments de l’école, dont ceux attachés à l’église Notre-Dame de Sainte-Croix, devinrent une caserne militaire (la caserne Mangin) et, plus tard, des bureaux militaires. Ces bâtiments furent vendus et transformés en maisons et appartements privés en 2016.
Église Notre-Dame de Sainte-Croix
« J’ai voulu laisser à la famille de Sainte-Croix un temple où tous ses membres pourront quelquefois se réunir pour y prier ensemble, un sanctuaire propre à exciter le respect et à nourrir la piété des élèves de l’Institution annexée à la Maison-Mère, en servant aussi aux habitants des environs ».
(Bienheureux Basile Moreau, Lettre circulaire du 1er janvier 1857)
La pierre angulaire de l’église Notre-Dame de Sainte-Croix fut bénie par Monseigneur Jean-Baptiste Bouvier, évêque du Mans, le 30 mars 1842, en présence des prêtres, frères et pensionnaires de Sainte-Croix. L’église fut finalement consacrée le 17 juin 1857 par le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, en présence de neuf autres évêques et de Dom Guéranger, abbé de Solesmes.
Mener le projet à terme fut une immense entreprise, et ne fut rendu possible que par la détermination et la confiance en la grâce divine du père Moreau. Voici un extrait d’un article local paru à l’occasion de la consécration de l’église :
« Un homme réduit à ses propres forces, un humble prêtre, fondateur d’une congrégation […] a voulu faire une église, une vraie église, et il l’a faite. Quatorze ans durant, à force de sacrifices personnels, de ténacité, de confiance en Dieu, après avoir été obligé de suspendre les travaux faute d’argent, après les avoir repris sans savoir s’il pourrait les continuer six mois seulement, cet humble prêtre a marché sans relâche, mettant lui-même, quand il le fallait, avec ses religieux, la main à la pioche, comme un simple manœuvre… » (La Chronique de l’Ouest, journal du Mans)
Calme et harmonie
Dédiée à Notre-Dame des Douleurs et à la croix du Christ, l’église était destinée à servir à la fois de chapelle pour l’Institution contiguë et d’église conventuelle à la famille religieuse de Sainte-Croix. Construite dans le style néo-gothique (le gothique datant du XIVe siècle), c’est l’une des plus belles œuvres du prêtre-architecte Magloire Tournesac (1805-1875). Comme l’écrivent les biographes de Basile Moreau, Étienne et Tony Catta :
« L’église Notre-Dame de Sainte-Croix n’est pas seulement un pieux sanctuaire, elle témoigne du caractère de grandeur que le Père Moreau avait voulu imprimer à la maison-mère de Sainte-Croix. On ne peut lui dénier la pureté des lignes où s’exprime le respect d’une grande tradition : on n’y est pas tombé dans l’imitation impuissante ni dans l’ornementation superflue. Le sens des proportions a été respecté.
La façade, sur laquelle s’ouvre une rosace rayonnante, encadrée de deux fenêtres à double ogive, s’achève par un simple pignon aigu. Au pied, un portail aux voussures serrées, surmonté d’une élégante galerie d’ogives. Au-dessus de la rosace enfin, une sobre balustrade.
À l’intérieur, belle et simple harmonie. La nef, large de neuf mètres et demi, haute de dix-huit, percée de douze fenêtres géminées, flanquée de deux bas-côtés ; le transept, de vingt-six mètres de développement ; le chœur et l’abside qui prolongent jusqu’à cinquante-quatre mètres la profondeur du vaisseau ; la tribune portée par trois arceaux et au-dessus de laquelle s’ouvre la rosace dominant le portail ; les hautes fenêtres du transept et du chœur ; les piliers robustes qui soutiennent les voûtes et qui entourent le chœur ; tout cet appareil concourt à porter vers le ciel une ogive nette et pure, soulevée comme une prière, dans le calme de l’âme qui trouve en Dieu son refuge et sa force ». (Chanoine Étienne Catta et Tony Catta, Basile-Antoine Moreau et les origines de la Congrégation de Sainte-Croix, Fides, 1950
La crypte et la chapelle
La crypte de l’église, avec son plafond voûté et ses larges piliers, était un endroit où le père Moreau se rendait volontiers pour une récollection silencieuse et pour prier le chemin de croix. Il souhaitait que l’endroit soit un sanctuaire pour l’enfant martyre saint Eutychius, dont les reliques furent transférées là lors d’une procession solennelle le 5 juillet 1853. La crypte était aussi dédiée à l’expression de la dévotion du père Moreau pour la Sainte Face de Jésus. C’est là qu’une lampe à huile brûla continuellement devant une image de la Sainte Face lors du voyage en Amérique du père Moreau en 1857.
Sur le côté nord de l’église se trouve l’ancienne salle du chapitre. Le père Moreau y présidait lors des réunions de la congrégation depuis un large fauteuil qui se trouve aujourd’hui dans le sanctuaire. C’est dans cette même salle du chapitre que, le 21 juin 1866, lors d’un poignant discours devant beaucoup d’yeux emplis de larmes, le père Moreau annonça sa démission comme supérieur général.
Depuis sa construction, il y a un siècle et demi, l’église a connu une histoire compliquée et parfois douloureuse. Vendue aux enchères en 1869 en même temps que l’Institution Notre-Dame de Sainte-Croix voisine, la Compagnie de Jésus acquit l’église en 1870. Elle fit certaines modifications à l’église, dont l’installation de nouveaux vitraux et la conversion de la salle de chapitre en chapelle (Chapelle du Christ Roi).
Quand, en 1911, l’État s’appropria l’école contiguë et la convertit en caserne militaire, l’église fut utilisée comme entrepôt militaire. Elle le restera les 20 années suivantes.
Une nouvelle consécration
Dû à l’intervention du cardinal Georges Grente, évêque du Mans de 1918 à 1959, la Congrégation de Sainte-Croix reprit possession de l’église de son fondateur en 1931. La rénovation de l’église comprit la mise en place d’un large baldaquin au-dessus du maître-autel et l’installation de trois haut-reliefs : l’un représente la Sainte Famille (transept sud), un autre le Sacré-Cœur avec saint Jean Eudes et sainte Marguerite-Marie Alacoque (transept nord) et un troisième, qui était auparavant placé sur le maître-autel, se trouve à présent sur le mur de l’allée sud. Ils sont tous l’œuvre du sculpteur français Georges Saupique (1889-1961).
L’église fut consacrée à nouveau le 9 novembre 1937. La paroisse fut fondée l’année suivante.
Les vitraux
La rénovation de l’église inclut également la mise en place de nouveaux vitraux. Malheureusement, ils furent détruits pendant une campagne de bombardement des alliés (6 août 1944) dirigée sur la Kommandantur, sise depuis 1940 dans la caserne Mangin. Les vitraux qui sont aujourd’hui dans l’église furent fabriquées après la guerre et installés en 1948.
« Dans cette église mariale, le bleu règne, mais domine le bleu profond, hommage convergent de la lumière et du verre à Celle que Péguy disait infiniment douloureuse, septante et septante fois douloureuse. […] Une symphonie en bleu majeur. » (Extrait de l’allocution de Mgr Dubois, vicaire général du Mans, prononcée pour l’inauguration des vitraux, le 16 mars 1948)
Les sept vitraux du chœur représentent les douleurs de Notre Dame : la fuite en Égypte, la présentation de Jésus et la prophétie de Siméon, la perte de Jésus enfant et sa découverte dans le temple, la rencontre sur le chemin du calvaire, la descente de la croix de Jésus, Jésus porté dans les bras de sa mère avant sa mise au tombeau, et, au centre, le Christ sur la croix, avec d’un côté sa mère et de l’autre le disciple bien-aimé.
De chacun des vitraux de la nef, une large croix dorée émerge du fond bleu clair – le bleu marial – alors que le soleil couchant fait s’embraser l’or et le rouge de la grande rosace.
Les quatre vitraux du transept offrent un aperçu de Sainte-Croix autour du monde : la célèbre Université de Notre-Dame (USA) ; l’Oratoire Saint-Joseph à Montréal, fondé par le saint frère André, de la Congrégation de Sainte-Croix ; les activités des missionnaires religieux de Sainte-Croix, hommes et femmes, parmi les divers peuples d’Asie et d’Amérique.
Les quatre vitraux du déambulatoire évoquent l’origine de la famille religieuse de Sainte-Croix, son retour au berceau de la Congrégation et l’établissement de la paroisse.
L’orgue et le presbytère
L’orgue, avec ses 45 registres et ses 3000 tuyaux, fut inauguré en 1949. Œuvre de Pierre Chéron (1914-1999), c’est l’un des plus beaux orgues de la ville du Mans.
Le bâtiment que l’on appelle aujourd’hui « presbytère » fut construit par la Compagnie de Jésus en 1873 pour accueillir les externes. Le célèbre écrivain Antoine de Saint-Exupéry (1900 – 1944) lui-même alla à l’école ici de 1909 à 1911. Les locaux furent ensuite un scholasticat (maison internationale de formation) pour la Congrégation de Sainte-Croix de 1933 à 1963.
La tombe du bienheureux Basile Moreau
L’église est la dernière demeure de son initiateur : le bienheureux Basile Moreau, csc. Sa tombe (transept sud), fut remontée de la crypte de l’église à l’occasion de sa béatification en 2007. La superbe effigie en marbre est l’œuvre du sculpteur Henri Charlier (1883-1975), qui sculpta également l’effigie de la tombe de Dom Guéranger à l’abbaye de Solesmes.
L’église Notre-Dame de Sainte-Croix est ce que le fondateur de la famille religieuse de Sainte-Croix voulait qu’elle soit : « le centre visible, l’image unificatrice de ses trois communautés (de pères, de frères et de sœurs), la figuration des âmes scellées comme des pierres vivantes dans l’édifice spirituel, à la gloire de Dieu. » (Catta)
« J’ai voulu laisser […] un monument de notre amour et de notre reconnaissance envers Jésus-Christ, seul fondateur de la Congrégation qui pour cela a fait de son Cœur sacré l’objet de notre fête titulaire ; envers Marie dont la protection sur cette œuvre a toujours été si visible, et envers Joseph qui s’est montré tant de fois son défenseur ». (Basile Moreau, Lettre circulaire, 1er janvier 1857)
(Un grand merci au père Jean Proust, csc, dont les recherches historiques et les écrits ont beaucoup apporté à cette présentation.)